Ça commence bien, se disent déjà certains des miens lecteurs! Pourquoi «un mien ami» et pas tout simplement «un de mes amis»? Parce que, si la forme est un rien désuète et rarement utilisée, elle est correcte et ne manque pas d’un certain charme. Quand une chronique commence par «un mien ami», le lecteur pense d’emblée «Diantre et palsambleu, cestuy-là qui commit cet articulet ne manquait pas d’aplomb. Nous voilà entre gens de bien». Donc et conséquemment, un mien ami, cher à mon cœur, m’a fait porter par messager virtuel familier du cyberespace, l’historiette suivante, que je me plais à vous livrer à mon tour. Par une triste et maussade journée d’automne, dans un petit bourg humide perdu au fin fond de la verte Irlande, sous une pluie battante, une grosse Mercedes traverse les rues désertes. Les temps sont durs: tout le monde est endetté, tout le monde vit à crédit… Le conducteur de la grosse berline, un riche touriste allemand, gare son fier destrier devant le seul hôtel de la ville et entre dans le modeste établissement. Il dépose un billet de 100 euros sur le comptoir et demande à voir les chambres disponibles, afin d’en choisir une pour la nuit. Le propriétaire de l’estaminet lui confie les clés et lui propose de choisir celle qui lui sied. Dès que le touriste disparaît dans l’escalier, l’hôtelier s’empare du billet de 100 euros et se précipite chez le charcutier, son voisin, afin de régler sa dette envers celui-ci.
Le charcutier, qui doit lui-même de l’argent à un éleveur de porcs, se rend immédiatement chez son créancier et lui remet le billet de 100 euros. L’éleveur, à son tour, règle ses dettes envers la coopérative agricole où il achète ses fournitures. Or, il se trouve que le directeur de ladite coopérative a une sévère ardoise au bistrot du coin. Il s’empresse donc d’acquitter sa dette auprès du tenancier du débit de boisson. Ayant palpé brièvement le précieux bifton, le tavernier le glisse alors discrètement à la péripatéticienne locale qui lui fournit ses services à crédit déjà depuis des semaines. La gourgandine, prostitupute de son état, mais d’une grande rectitude morale, utilise régulièrement l’hôtel pour accomplir sa mission tarifée. Elle court aussitôt, le précieux billet serré contre son sein, payer sa facture à l’hôtelier. Celui-ci repose la coupure de 100 euros sur son comptoir où le touriste allemand l’avait laissée en arrivant. Au même moment, le touriste redescend l’escalier, annonce qu’il ne trouve pas les chambres à son goût, ramasse son billet et s’en va. Personne n’a rien produit. Personne n’a rien gagné. Mais personne n’est plus endetté! Du coup, le futur semble beaucoup plus prometteur pour tout le monde! Belle histoire, non?
Pourtant, pourtant, il faut bien des conditions pour qu’elle puisse se réaliser. Tout d’abord, les protagonistes. Il faut beaucoup d’imagination pour croire qu’un touriste allemand laisserait un billet sans surveillance. Ensuite, à part en Irlande, où trouverait-on un hôtel à 100 euros? Sûrement pas au Luxembourg. Et en France, plus personne ne fréquente les hôtels, de peur d’y croiser DSK! Par ailleurs, pour que ce joli conte fonctionne, il est indispensable qu’à aucun moment, la chaîne ne soit brisée. Or, dans la vraie vie, ou le charcutier, ou la fille de joie, plus certainement le patron du café, aurait exigé des intérêts sur la somme qu’il avait prêté. Et dès lors, le miracle ne se serait pas produit. Car dans ces histoires de dette qui font la une ces temps-ci, on ne s’emploie qu’à blâmer les débiteurs, jamais à s’interroger sur les créanciers qui sont souvent d’infâmes usuriers.
Voici comment ça se passe: – «Bonjour Monsieur le banquier, que vous me semblez gentil. Si votre coffre-fort se rapporte à votre sourire, vous êtes le phénix de la city».
– «Bonjour, Monsieur le pigeon, pardon, le client. Que puis-je pour vous?»
– «Je voudrais emprunter 10.000 euros. C’est pour acheter des trucs.»
– «Fort bien. Asseyez-vous, nous allons faire les papiers. Ah, comme vous n’êtes pas solvable…»
– «Comment ça, pas solvable! Bien sûr que je suis solvable.»
– «Comme vous n’êtes pas solvables, disais-je, le taux d’intérêt sera de 28%.»
– «28%? Mais vous êtes fou? Je ne pourrais jamais rembourser.»
– «Jamais rembourser? Vous voyez bien que vous n’êtes pas solvable!» CQFD
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