Comme un palace des mers échoué près de l’île du Giglio. Le naufrage du Concordia est terriblement symbolique! Mal piloté par celui qui avait la charge de son gouvernail, autrement dit de le gouverner, le bateau se fracasse contre un rocher. Le capitaine, comme les rats, quitte le navire parmi les premiers. La réaction immédiate de l’aumônier est de foncer prier dans la chapelle. Procédure d’urgence sans doute! Mal encadrés, mal préparés, mal informés, les passagers cèdent à la panique. Certains tentent d’arracher leurs gilets de sauvetage à des personnes âgées, d’autres se battent pour avoir une place dans une chaloupe, quelques-uns usent de leur force pour prendre la place des enfants. Sommé de faire son devoir et de retourner sur son rafiot, le capitaine se défile. A bord, un sauve-qui-peut désordonné fait peu de cas des lois de la mer et des belles formules comme «les femmes et les enfants d’abord». Pourtant, le personnel philippin, malgré la barrière de la langue, fait son possible pour aider les croisiéristes. Ce personnel philippin qui n’a pas droit aux jolies cérémonies durant lesquelles le capitaine se fait photographier avec ses passagers, en uniforme de grand apparat, une coupe de champagne à la main, les Ray-Ban sur le nez, le sourire suffisant des fats aux lèvres, la prétention dérisoire de ceux qui commandent à la boutonnière. Ce personnel philippin qui, toujours souriant, poli, dévoué et efficace, travaille 14 heures par jour, 6 jours par semaine, pendant 6 mois d’affilée, pour 300 euros par mois. Nourri, logé ajouteraient les actionnaires de Costa. Nourri de ce que les voyageurs rassasiés n’ont pas réussi à finir, logé à huit dans des cabines borgnes à côté des salles des machines! Sur l’île, les braves gens, les secouristes, les anonymes viennent en aide aux rescapés. Sans uniformes d’apparat…
Comment va le monde? Comme un luxueux bateau, conduit par un nanti imbécile, lâche et égoïste; un luxueux bateau, sur lequel les plus humbles, les plus pauvres et les moins respectés sont ceux qui font preuve de solidarité, de dignité et de courage! Comment va le monde? Comme une locution latine détournée: Non fluctuat sed mergitur!
Comment va le monde? Comme avant. Un avant qui n’était pas vraiment mieux mais que, çà et là, on commence à regretter. En pensant que c’était peut-être mieux avant, quand c’était pire. Avant quoi? Avant… Avant la guerre. Laquelle? Peu importe. La dernière. C’est à dire la plus récente. On les oublie tellement vite. Pour en préparer de nouvelles. De nouvelles dernières.
En Hongrie, des milices fascistes font la chasse aux Roms. En Hongrie, on adopte des lois muselières sans même avoir organisé l’incendie du Reichstag. En Israël, des dingos barbus veulent interdire aux femmes de choisir librement leurs places dans les bus. En Syrie, un boucher massacre des innocents sous l’œil bienveillant et complaisant de la communauté internationale. Au Tibet, un quinzième moine s’est immolé par le feu dans l’indifférence coupable de la même communauté internationale.
C’était peut-être mieux avant, quand c’était pire… Avant quoi? Avant la chute du mur. Quel mur? Celui qui a chuté, forcément. D’autres continuent à insulter les consciences de leur arrogante solidité. En Pologne, une chanteuse a été condamnée à une amende de 1.100 euros pour «offense aux sentiments religieux», parce qu’elle avait osé critiquer la Bible. Avant… Avant, en Pologne, on était condamné si on osait critiquer la ligne du parti. Avant, l’eau de Pologne, c’était la vodka. Ça liquéfiait le cerveau et réchauffait le corps. Aujourd’hui, l’eau de Pologne, c’est l’eau bénite. Ça purifie l’esprit et refroidit les ardeurs. Le mur du çon a remplacé le mur de la honte. Pas de quoi être fiers…
Comment va le monde? Comme un luxueux bateau ivre qui oublie que la surface n’a pas d’épaisseur. Comme de misérables bateaux surchargés d’émigrants fuyant la misère ou la violence. Tandis que les armateurs grecs ne payent toujours pas d’impôts. Et vogue la galère…
Comment va le monde? Exactement comme le mal nommé Concordia. Il a toujours 1.500 cabines, cinq restaurants, cinq Jacuzzis, un toboggan, un spa, des thermes, un cinéma 4D, un casino, un théâtre… mais, ridiculement couché sur le flanc, à quelques mètres seulement de la terre ferme… il offre le spectacle lamentable de l’inanité. Pire, il est devenu une menace, le ventre plein de ce liquide visqueux qui provoque les guerres, fait les fortunes et salope les côtes!
Comment va le monde? Comme avant. Avant qu’il n’aille encore moins bien! Ou avant qu’il ne redresse la barre et change de cap?
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