Monsieur le Sénateur,
Ainsi donc, vous auriez préféré que le Luxembourg n’existât pas… Vous savez combien la vénérable assemblée à laquelle vous appartenez est victime de clichés qui nuisent à son image. On l’imagine peuplée de vieillards gâteux, de notables séniles, de has been fatigués, de politiciens de deuxième zone. C’est le plus souvent injuste. Il est donc regrettable que vos propos ridicules visant le Luxembourg aient apporté de l’eau à ce moulin. Vous êtes également maire de Compiègne, dont l’excellente Université de technologie fut une des premières grandes écoles françaises à signer des accords avec le Luxembourg. Mais les relations entre la ville dont vous êtes le premier magistrat et le Grand-Duché sont plus profondes encore, car Compiègne est jumelée avec la charmante ville de Vianden, dont le plus célèbre « agent touristique » s’appelait Victor Hugo qui déclara, lors d’un de ses séjours en Luxembourg : «Aujourd’hui, dans son paysage splendide que viendra visiter un jour toute l’Europe, Vianden se compose de deux choses également consolantes et magnifiques: L’une sinistre, une ruine, l’autre riante, un peuple ». Expulsé de Belgique en 1871, Hugo avait trouvé asile au Luxembourg. Il y comptait de nombreux amis et le gouvernement de l’époque, pourtant conservateur, n’avait pas hésité à l’autoriser à séjourner à Vianden. Il y parla, avec le talent qu’on sait, de l’Europe, des droits de l’homme, de la paix… Elu sénateur en 1876, Victor Hugo siègera au Palais du Luxembourg jusqu’à sa mort en 1885. Comme quoi, j’avais raison en écrivant que la réputation du Sénat d’être un repaire de vieux gagas est souvent injuste. Victor Hugo, ami du Luxembourg, fut donc l’un de vos prédécesseurs au palais du même nom. Je prends peu de risque en pariant qu’il laissera dans l’histoire une autre trace que la vôtre. J’ai eu à deux reprises l’honneur de mettre les pieds au Sénat. La première fois, guidé par l’ancien sénateur-maire de Thionville, le Docteur Paul Souffrin, grand homme de culture, je m’étais assis à la place du sénateur Victor Hugo, essayant de m’imprégner de la solennité du lieu. Paul Souffrin, après avoir pris sa retraite, a continué à se rendre régulièrement, en voisin amical, au Luxembourg, pour assister à des représentations théâtrales ou visiter des expositions. Comme quoi, j’avais raison en écrivant que la réputation du Sénat d’être un repaire de vieux gagas est souvent injuste. Ma deuxième visite au Palais du Luxembourg est plus récente. Je m’y étais rendu à l’invitation de Marcel Jullian, écrivain, scénariste (peut-être l’avez-vous inspiré pour « Le corniaud ?), premier président d’Antenne 2, ancien résistant, pour assister à la cérémonie durant laquelle on le fit Commandeur de la Légion d’Honneur. Marcel tenait à ce qu’un ami du Grand-Duché soit présent. Car il n’avait pas oublié qu’en 1944, interné à la prison du Grund à Luxembourg (au milieu de centaines de résistants, réfractaires, déserteurs luxembourgeois refusant la barbarie nazie), condamné à être décapité à la hache, il avait échappé à la mort grâce au soutien de courageux Luxembourgeois. Comme quoi, on ne croise pas que des ingrats au Palais du Luxembourg. Et puis, l’an passé, j’ai eu le bonheur de rencontrer Robert Badinter, sénateur et ancien ministre de la justice. Il me raconta dans son bureau, avec beaucoup d’humilité, comment, en 1979, il avait envoyé une lettre au Ministre luxembourgeois de la justice Robert Krieps et à la Chambre des Députés du Grand-Duché pour les féliciter d’avoir aboli, le 17 mai 1979, la peine de mort dans leur pays. Deux ans avant la France. Le sénateur Robert Badinter, héritier sans le moindre doute du sénateur Victor Hugo, n’a jamais souhaité la disparition d’un pays qui s’est toujours trouvé aux côtés de la France au moment des grandes épreuves et des combats essentiels. Comme quoi, j’avais raison en écrivant que la réputation du Sénat d’être un repaire de vieux gagas est souvent injuste. J’aurais pu ajouter bien d’autres noms aux quelques exemples que je viens d’évoquer. Je veux espérer que peu de vos collègues sont aussi ignorants, arrogants, injustes et ridicules que vous. Car si le Palais du Luxembourg n’était peuplé que de personnages de votre acabit, je comprendrais votre souhait que le Luxembourg n’ait jamais existé. Le Palais, évidemment !
- Président des Amis de la maison de Victor Hugo à Vianden
- Ancien Directeur-adjoint du Centre culturel français de Luxembourg
- Chevalier dans l’Ordre des Arts et Lettres
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