Comme je le rappelais il y a peu, dans ces mêmes colonnes, Mouammar Kadhafi, a déclaré un jour : « La démocratie, ça ne marche pas dans un pays arabe ». Claude Guéant, actuel ministre de l’intérieur de la Grande République laïque de France, aurait pu ajouter : Les Arabes ça ne doit pas marcher dans les démocraties ». Ce que les médias ont baptisé le Printemps arabe, ne cesse de nous surprendre, tant il nous semblait acquis que ces pays étaient faits pour la soumission, la corruption, le fanatisme, l’obscurantisme et parfois, quand même, le tourisme ! Et voilà que les peuples de l’autre rive de la Méditerranée choisissent un autre « isme », l’héroïsme ; et une autre « ion », la révolution. Les voilà qui chassent leurs dictateurs et réclament la démocratie.
Avouons-le, c’est très ennuyeux. Pas seulement parce que la seule chose qu’aient perçue certains dirigeants européens, c’est le risque de devoir accueillir quelques nouveaux émigrants, mais surtout parce que ces mouvements populaires bousculent nos tranquilles certitudes, remettent en cause nos confortables préjugés, mettent en évidence notre profonde méconnaissance des cultures arabes !
Depuis près de 20 ans, on a tenté de nous convaincre de la réalité d’un « choc des civilisations ». Comme si les cultures étaient destinées à entrer en collision les unes avec les autres ! Comme s’il y avait d’un côté les civilisés (c’est nous) et les barbares (c’est les autres) ! Puisqu’il n’y a plus de menace de l’autre côté d’un rideau de fer, eh bien, l’affrontement idéologique Est-Ouest a été avantageusement remplacé par la fable du choc des civilisations.
Ainsi, en France, la menace d’un changement de gouvernement qui transformerait la place de la Concorde en parking pour chars soviétiques (si, si, sérieusement, c’est ce qu’on nous racontait il y a pile poil 30 ans) a cédé la place au prétendu risque de voir les églises aménagées en mosquées avec des minarets en guise de clochers !
Cette immense supercherie appelée choc des civilisations a notamment justifié, sous prétexte de lutte contre l’axe du mal, une guerre en Irak, illégitime, aussi bien du point de vue de la morale que de celui de l’efficacité ou encore de la législation internationale.
Au nom du choc des civilisations, on a effacé d’un trait des siècles de culture, des milliers de pages de poésie, des traités de philosophie, des traditions artistiques ou scientifiques et des coutumes hospitalières.
Et, de façon concomitante, les dirigeants occidentaux, qui éduquaient leurs peuples au mépris ou à la défiance à l’endroit des peuples arabes, développaient avec les régimes dictatoriaux corrompus une bien pratique complicité. Les tyrans aujourd’hui honnis parce que démis, sont les amis d’hier. Ils étaient non seulement soutenus et respectés mais encore admis car si « la démocratie, ça ne marche pas dans les pays arabes, » ça n’est pas la faute des dictateurs, c’est celle des peuples . Alors, tant qu’à faire, autant que lesdits dictateurs soient de bons clients, de bons graisseurs de patte, des bons garde-chiourmes.
Depuis la publication du torchon de Samuel Huntington en 1993, la théorie fumeuse du choc des civilisations, véritable escroquerie intellectuelle, a servi d’alibi aux délires bushistes, à des restrictions démocratiques dans les pays occidentaux (comme le tristement fameux Patriot act), aux replis identitaires, à la banalisation du discours xénophobe, à l’officialisation de l’islamophobie…mais aussi au refus de l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne, à l’indifférence générale face au drame palestinien… et, du même coup, elle a favorisé le renforcement de mouvements fondamentalistes, par dépit, sentiment d’injustice et d’humiliation, déception ou amertume des populations,
Il nous reste à espérer que le printemps arabe permettra non seulement l’éclosion de démocraties, mais qu’il démontrera également la vacuité du prétendu choc des civilisations, permettant de découvrir ou redécouvrir la richesse de cultures qui nous ont imprégné autant que nous avons pu les influencer.
De nombreux intellectuels s’y emploient, de ce côté-ci aussi de la Méditerranée, (c’est notamment le cas de Norbert Campagna, philosophe et écrivain luxembourgeois, régulièrement publié à l’étranger). Mais il faudra encore beaucoup d’efforts pour faire enfin comprendre que l’interprétation erronée, dogmatique et obscurantiste du Coran par certains tarés n’implique pas que tous les lecteurs de ce texte sont des tarés obscurantistes. La preuve ? Ça n’est pas parce que certains ont dévoyé la phrase du Christ « laissez venir à moi les petits enfants », que tous les chrétiens doivent être éloignés des mineurs !
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