J’ai connu Chypre en 1995. A l’époque, la capitale était administrée par un maire charmant, très drôle et fort sympathique. L’homme était avocat, comme les deux tiers des élus de la ville. Il m’a raconté ses problèmes quotidiens. Des Russes venaient le voir, avec des valises pleines de billets et lui disaient vouloir acheter des trucs. Alors, il les conseillait. Une belle voiture, un terrain, une villa avec piscine, du mobilier. Les types payaient cash, mais la valise n’était pas vide. Alors, ils demandaient : « Que puis-je encore acheter ? ». Le brave homme réfléchissait et disait : « J’ai trouvé. Un yacht » ! « Un quoi ? », s’étonnaient les riches Russes. « Un yacht. C’est un gros bateau qui va sur l’eau », répondait-il. Alors le type s’achetait un bateau. Quand la valise était vide, il était très content et allait fêter ça au restaurant. Comme on le sait, l’ile était divisée en deux. Un côté dit « grec », prospère et admiré et un côté dit « turc », pauvre et méprisé. LA capitale, Nicosie était elle-même partagée par une sorte de mur, aussi appelée « green line ». Il était déconseillé d’aller « de l’autre côté », chez les pauvres et c’était un peu compliqué. Côté « grec », la ville était plutôt sympa, mélange de modernité et de tiers-monde. Les enfants des écoles portaient un uniforme, trace de l’ancienne colonisation anglaise, mais on pouvait acheter n’importe quoi, du sandwitch au rasoir électrique ou à la chaine hifi, à n’importe quelle heure de la nuit, dans des kiosques animés et pittoresques. On imaginait que de l’autre côté de la « green line », les gens bouffaient des cailloux et priaient Allah ! Je me souviens qu’il fallait 70 Flux pour une livre chypriote. Côté « grec », bien sûr. De l’autre côté, les gens ne devaient pas avoir d’argent de toute façon. Déjà à l’époque, les Russes n’avaient pas besoin de visa et ils commençaient à coloniser la partie « grecque » de l’Ile. Les Chypriotes grecs rêvaient de rejoindre l’Union Européenne, mais la partition de l’île restait un problème. Alors, sous la houlette de l’ONU, un plan fut négocié entre les parties. Il fut soumis au vote des populations des deux côtés, le 24 avril 2004. Les résultats furent les suivants : oui au plan et à la réunification : 65% côté turc et 24% côté grec. C’était clair. La partie truque était à fond pour. La partie grecque à fond contre. L’assurance d’adhésion de Chypre à l’Union européenne, sous la seule autorité grecque et ce quel que soit le résultat du référendum, ne poussait pas les Chypriotes grecs au compromis. Malgré leurs réticences, les dirigeant européens, acceptèrent finalement cette adhésion en raison des pressions de la Grèce qui menaçait de bloquer les neuf autres candidatures à l’Union européennes prévues en 2004, si Chypre n’était pas incluse parmi ces pays. Donc, malgré l’échec du plan de réunification, Chypre, enfin sa seule partie grecque, devint membre de l’UE et même, en 2007, membre de la zone euro. Je suis retourné à Nicosie en novembre dernier. Les kiosques avaient disparu. L’ambiance méditerranéenne également. Dès la tombée de la nuit, vers 18h, les magasins fermaient et les rues se vidaient. Faut dire que l’éclairage public ne fonctionnait presque pas, pour une sombre (forcément) histoire de centrale qui avait cramé. En revanche, le côté russe s’était renforcé. Des enseignes en cyrillique, des conversations en russe partout, des Olga et des Natacha haut perchées… Un soir, déprimé par cet aspect glauque de la ville, j’ai parcouru la rue piétonne jusqu’au check point séparant les deux zones. Le passage s’est fait en deux minutes et je me suis retrouvé chez « les autres ». Tout était éclairé. Les ruelles joliment pavées. Les terrasses ouvertes et animées. Les bâtiments étaient fraichement restaurés, les gens gais et accueillants ! J’ai bu un pot, payé en euros et constaté que c’était aussi cher que là d’où je venais. Et puis je suis retourné me faire voir chez les Grecs. Quand j’ai appris le scandaleux hold-up que la troïka s’apprête à commettre du côté grec de Chypre, je n’ai pas pu me retenir d’éclater de rire en pensant à la réaction de ceux dont on a pas voulu en 2004. Ils doivent remercier le ciel du refus de leurs voisins. Et se dire qu’il y a une justice ! Ah, les cons, me suis-je dit ! Ils ont l’air fin, maintenant avec leur euro et leurs Russes. Devant l’indignation internationale provoquée par l’annonce du hold-up, les autorités européennes vont l’adoucir. Rien en dessous de 100 000 euros, 10% au dessus. Alors, Monsieur Yannis Sounieuros qui possède 100 030 euros d’économies, va s’en faire piquer 1003 euros ! Alors que Monsieur Alexeï (dit Al) Caponovitch qui a 1 000 000 d’Euros sur son compte, va commencer par faire un don de 20 euros à l’Eglise Orthodoxe, puis il répartira ce qui reste en dix comptes différents, aux noms de ses employés qui s’occupent des Olga et des Natacha. Chacun avec 99 998 euros. Et il ne payera rien. Nada, ou plutôt nichego, comme on ne dit pas en grec ! Voilà, c’est une histoire morale ! Après le coup du hold-up, s’il restait deux types pour faire confiance à l’Europe, désolé, ils se sont naturalisés Turcs !
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