A combien de reprises, des orateurs mal inspirés, n’ont-ils pas répété: « comme disait Jean Monnet, si c’était à refaire, je commencerais par la culture ». On sait aujourd’hui que Monnet n’a jamais prononcé cette phrase, qu’elle est apocryphe, ce qui n’empêche pas qu’elle lui soit solennellement et abusivement attribuée, en guise d’introduction à des interventions ou des discours traitant de l’Europe et de la Culture, pour épater la galerie et éviter les vraies questions…
En réalité, le première mention d’une « action communautaire dans le domaine de la culture « date de 1972. Elle est signée Altiero Spinelli et fut préparée par un Français du Luxembourg, Robert Grégoire, qui deviendra plus tard un proche collaborateur de Gaston Thorn, chargé de la culture, à Bruxelles. De ce tout premier acte reconnaissant une place pour la culture dans la politique européenne, Robert Grégoire écrit : « La Commission avait mis le doigt dans l’engrenage. Je voulais la main, puis le bras. Il ne m’échappait pas que ce serait dur ». Plus de trente-cinq ans plus tard, la Commission n’y a visiblement toujours pas mis le cœur et l’esprit !
Certes, depuis Maastricht, la culture figure en toutes lettres dans le Traité ; certes, un Commissaire en a la charge, certes, une Direction Générale, des programmes, des agendas, des colloques, des bureaux, des circulaires… lui sont consacrés. Mais, au-delà du montant ridicule du budget qui lui est réservé (la politique culturelle représente environ 0,12 % du budget de l’Union !), c’est le fossé qui sépare les déclarations d’intention, le lyrisme hypocrite des discours, le blablabla creux des déclarations et la réalité du terrain qui suscite l’indignation.
Alors qu’on nous assomme d’une littérature confuse à la gloire de « LA MOBILITÉ », les intermittents du spectacle français ne peuvent toujours pas faire valider les cachets perçus à l’étranger. On peut embaucher un plâtrier ou un couvreur lorrain, ses gains perçus hors des frontières donneront lieu à des prestation sociales, alimenteront sa caisse de chômage ou de retraite. On ne peut pas engager un comédien ou un musicien de la même région, sans lui faire perdre ses droits sociaux. Mobilité ? Immobilisme ! Et ce n’est qu’un exemple du mépris dans lequel sont tenus ceux qui FONT la culture.
Mais laissons au talent de Robert Grégoire le soin de rappeler l’évidence, dès 2000, dans son livre « Vers une Europe de la culture » :
« Ce n’est pas uniquement pour une raison de justice sociale qu’il y a lieu d’assurer aux travailleurs culturels l’amélioration des conditions de vie et de travail permettant leur égalisation par le progrès que l’article 117 du Traité de la C-E.E. promet à tous les travailleurs. C’est aussi pour des motifs qui tiennent à la survie et au développement de la culture.
Si elle est le domaine de la surprise, la culture n’est pas celui du miracle. Elle n’est pas désincarnée. Elle ne ressortit pas à un quelconque angélisme…
Il serait naïf d’espérer que, de soi-même, l’opulence des travailleurs culturels aboutirait à la naissance d’œuvres plus nombreuses et plus belles et influenceraient d’une façon positive l’interprétation des œuvres anciennes et des œuvres modernes. Mais il est irresponsable de croire que la pauvreté de ces travailleurs n’est pas préjudiciable à la création et à l’interprétation.
L’opulence ne peut pas être une génitrice. Par contre, la pauvreté est une avorteuse.
Nos pays, qui ont aboli la censure politique, laissent subsister la censure économique.
Un travailleur culturel n’est libre à l’égard de la création ou de l’interprétation que s’il est libéré d’une trop grande pression de ses besoins sociaux.
A défaut d’être en mesure de les abattre, il s’agit d’abaisser les obstacles matériels – les obstacles objectifs – auxquels se heurtent les travailleurs culturels et de leur procurer ainsi la possibilité de se concentrer sur le corps à corps avec les difficultés intellectuelles qui caractérisent leurs professions ».
Est-il nécessaire de préciser que ce tribun, combattant inlassable de la démocratisation de la culture et des droits des créateurs, était un ami proche du Ministre socialiste des affaires Culturelles luxembourgeois et député européen membre de la Commission culture, Robert Krieps ?
Est-il nécessaire de rappeler qu’il manque au Parlement européen des voix capables de rappeler ces réalités inacceptables et d’œuvrer à les transformer ?
Nous y reviendrons…
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